Nous avons vu que le Diable-Iblis n’est pas parvenu à entraîner ‘Issa (Jésus) dans la spirale destructrice du mal ; alors, il a concentré tout le mal du monde contre lui. Le film de Mel Gibson montre et suggère à la fois qu’il a souffert dans sa chair et dans son esprit plus que personne au monde, lui qui était le seul homme totalement innocent du mal. Or, l’évangile de Luc relate sa dernière parole : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 33).
Pardonner ? Dans l’Antiquité avant Jésus-Christ, le seul exemple de pardon que le grand philosophe Aristote donnait était celui d’une mère qui pardonne à son petit enfant : elle le fait en fonction de l’avenir, car elle croit que son enfant va devenir meilleur (et elle va l’éduquer dans ce sens-là). Aristote ne trouve pas d’autre exemple. Seule la victime peut pardonner ; pourquoi le ferait-elle ? Dieu Lui-même pardonne-t-Il ? Dans le Coran, dès la Fatiḥa, on lit que Dieu est raḥmān / raḥīm, deux formes très proches qui correspondent à peu près à miséricordiant / miséricordieux [1]. Le Dieu qui fait miséricorde (raḥmān) – c’est-à-dire qui est ému et veut le bien des hommes – est miséricordieux en Lui-même (raḥīm). Est-Il prêt à pardonner ou tient-Il une comptabilité aveugle des actes bons et mauvais, et en suscitant même les uns et les autres ?
Les dix commandements dictés à Moïse (Moussa) ont appris aux hommes comment ne pas pécher contre leur Créateur, puis toute l’histoire des Hébreux a été une longue pédagogie pour apprendre à respecter les lois de Dieu. Ils ont découvert aussi que Dieu veut sauver de l’emprise du Mal, parce que, comme une mère, Dieu voit avant tout la vie de ses créatures, et c’est pourquoi il offre le pardon à ceux qui se repentent, avant que n’intervienne sa justice : « Tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu’ils se repentent […] Tu épargnes tout, parce que tout est à toi, Maître ami de la vie ! » (Sagesse 11, 23-26). Si Dieu offre la possibilité de se repentir (et de réparer ce qui peut l’être), l’homme ne le ferait-il pas à l’égard d’autrui ? Est-ce que la possibilité du pardon ne doit pas être prioritaire sur la vengeance et la loi « œil pour œil, dent pour dent » ?
Par ses propres forces, l’homme ne peut pas proposer le pardon. Un seul a ouvert ce chemin, c’est Jésus. Parce que ce chemin implique Dieu. C’est le secret du pardon. Pardonner, c’est d’abord cela : confier à Dieu le mal subi et la cause à défendre, et ouvrir une porte pour un avenir où Il interviendra. C’est sortir de la spirale du Mal par un acte de foi. Dieu est tout-puissant mais il attend que nous lui donnions les situations. Jésus aurait pu faire tomber le feu du ciel sur Judas ou sur le sanhédrin bien avant d’être livré pour être crucifié. Il a tout remis à son Père, il s’est tout donné (Mt 27, 46). Et le Mal a perdu son pouvoir. Aussi Jésus est devenu celui par qui on peut sortir de la spirale du Mal et de l’emprise du péché : par lui, Dieu « remet » les péchés à celui qui se repend. Jésus peut offrir le pardon de Dieu, même au pire criminel ‒ ce qui fut le cas de celui des deux qui était crucifié à sa droite et qui demandait pardon. Au milieu de la mort, il donne la Vie. C’est un pouvoir unique que Jésus détient et qu’il a transmis à ses apôtres, sinon il faudrait en parler seulement au passé. Aujourd’hui comme hier, des signes de vie nous montrent ce pouvoir de Jésus : « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit et va-t’en chez toi. Et celui-ci se leva et s’en alla chez lui » (Matthieu 9, 6-7).
[1] Bi-smi Llāhi r-raḥmāni r-raḥīmi.